Alors là franchement, c’était le pompon ! Ces deux dernières semaines elle avait eu le droit à toutes les tuiles possibles mais ça.... ça c’était vraiment la goutte qui faisait déborder le vase ! Se faire engueuler par une troisième année, une blondinette fringuée comme une clocharde en plus ! Non mais et puis quoi encore ? Dans quel monde on vivait si on pouvait même plus lire tranquillement dans sa salle commune ?

« Si on te voit lire ça, on va encore répandre des sales rumeurs sur nous ! » avait geint la gamine d’une voix suraigüe.

Sous le coup de la surprise, Grace avait sursauté et s’était empressé de dissimuler le lourd grimoire sous sa cape. Mais c’était trop tard, la mioche était arrivée sans un bruit derrière son épaule et avait réussis à lire le titre : « Sciences de l’Ombre ». Juste en dessous, une étoile renversée à cinq branches confirmait que le livre ne faisait pas dans les sortilèges floraux... si vous voyez ce que je veux dire. C’était des maléfices beaucoup plus complexes, beaucoup plus sombres et beaucoup plus dangereux. A vrai dire, Grace ne savait même pas si ce genre de bouquins étaient autorisés à Poudlard. Elle l’avait ramené de Liverpool la semaine dernière et avait prit soin de le laisser dans sa valise, là où personne ne pouvait le voir. Jusqu’à ce que la tentation ne soit forte et qu’elle décide de l’ouvrir après minuit, dans un coin tranquille, là où personne ne viendrait la déranger. Du moins c’était le plan initial... mais c’était sans compter sur cette morveuse qui s’était levée pour on ne sait quelle raison tordue et qui l’avait espionnée. Bravo les bonnes manières ! Et en plus elle se permettait de poser des questions :

« - Les profs savent que t’as ça ? Tu l’as eu ? Il est à toi ? Pourquoi tu lis ça ?
- Pour te faire siffler.», rétorqua froidement miss Crabbe. « On t'as jamais dis de te mêler de tes oignons ?
- Si mais c’est pas drôle.
- D’abord tu devrais être au lit à cette heure là.
- Toi aussi. » nargua la gamine avec un sourire jusqu’aux oreilles.

Si elle n’avait pas été une Serpentard elle l’aurait giflée. Ou lui aurait balancé un maléfice bien sentit dans la tronche, au choix. Mais commencer une bagarre n’aurait fait que réveiller les autres serpents et ça ça n’allait vraiment pas l’aider. Alors elle s’efforça de garder son calme et simula un sourire désolée. Le ton on ne peut plus mielleux, elle accorda à la gamine qu’elle avait raison, lui souhaita une bonne nuit et prit le chemin du dortoir des cinquièmes années. Satisfaite, la fillette tourna à son tour les talons et regagna sa chambre. Et paf ! Une bonne chose de faite ! Sitôt la porte refermée, Grace fonça vers le serpent géant qui camouflait la sortie et quitta la salle commune. Puisqu’on ne pouvait pas lire tranquillement ici, elle trouverait un autre endroit. Une salle vide ou un couloir désert à l'étage.... de toute façon il n’y avait pas grand monde à cette heure.

Avançant dans l’obscurité, elle sentit un courant d’air froid lui caresser les épaules et se maudit de ne pas avoir pensé à prendre sa cape. A part une robe noire, une paire de chaussons, sa baguette et le grimoire sombre elle ne portait rien. Quelle idiote ! Plus ça allait, plus elle ressemblait à une Pouffsouffle. Il y a quelques semaines elle n’aurait jamais osé sortir comme ça.... en fait, il y a quelques semaines, elle n’avait pas besoin de sortir comme ça. Parce que Voldemort n’avait pas encore fait d'apparition publique, parce que la peur et le doute ne la tiraillaient pas, parce que son mangemort de grand père ne lui avait pas encore donné ce livre pour la « ramener sur le droit chemin ».... Les Crabbe s’étaient toujours rangés du côté du Seigneur des Ténèbres et en tant que membre du clan elle devait suivre la même voie. Serait-ce la bonne ? Honnêtement, elle n’en savait rien. En tout cas une chose était sûre : la magie noire était loin de la laisser indifférente. Dès qu’elle posait les yeux sur des formules interdites aux effets terrifiants ou sur la recette d’une potion qui repoussait toutes les limites son cœur s’emballait. C’était tellement grisant de s’imaginer pouvoir contrôler l’esprit, le corps, la peur.... et même la mort. Grisant et effrayant.

L’air incertain, elle souleva le grimoire à la reliure dorée et caressa la couverture. Malgré les risques elle avait envie.... non, besoin, de savoir. Elle poussa donc la première porte qui se présentait, la referma soigneusement et se dirigea vers la fenêtre. Elle ne savait plus trop à quoi servait cette salle mais il y avait vraiment peu de chance qu’on la trouve ici. Posant sa baguette au sol, elle se laissa glisser contre le mur, ramena ses jambes contre sa poitrine et posa le livre devant elle. Un rayon de lune éclaira le symbole du mal et un frisson la parcourut.

« Mais je ne fais rien de mal », chuchota-t-elle « La curiosité n’est pas un crime.»

Et doucement elle entrouvrit « Sciences de l’Ombre » et se plongea dans la lecture du prologue.

La première chose qui frappa Grace furent les lettres gothiques peintes au début de chaque paragraphe. Ornées de milles couleurs, elles étaient invariablement à la merci de la queue, de la griffe ou de la langue d'un animal légendaire qui s'accrochait gracieusement aux courbes de la lettre. Leurs contours dorés brillaient dans l'obscurité et la demoiselle ne put s'empêcher de passer un doigt sur les dessins. Elle remarqua alors qu'ils étaient chauds, comme si les créatures étaient belles et bien vivantes. Un effet de son imagination sans doute... à moins que ce livre ne soit enchanté. Oui, il l'était sûrement.... enchanté. Sinon comment expliquer cette sensation étrange ? Ce sentiment que plus rien autour d'elle n'existait. Il n'y avait que le grimoire, ses lettres fascinantes et ses dragons cracheurs de feu. Elle ne devait plus le refermer, ne pouvait plus le refermer. Désormais son destin était de parcourir ses pages, de découvrir ses secrets et de se passionner pour les forces obscures. Les yeux vitreux, elle reporta son attention sur la première ligne et commença à lire. Les mots lui parurent immédiatement fascinants, transcendants de vérité et de sagesse. Elle dévora le premier paragraphe en moins d'une minute et s'attaqua aussitôt au suivant.

Soudain un rai de lumière illumina les pages obscures et le grimoire se convulsa. Grace eu juste le temps de voir les animaux se tordre de douleur avant que le livre ne pousse un sifflement aigu et ne se referme violemment sur ses doigts. Et d'un coup, se fut comme si on lui avait balancé un seau d'eau glacé sur la tête. Elle sortit de sa torpeur, retrouva la gravité terrestre et ressentit la douleur se répandre dans sa main.

« .... çon avec moi. »

Une voix ? Elle ne se souvenait pas avoir entendu quelqu'un rentrer dans la salle. Encore un peu sonnée, elle releva doucement la tête vers l'intruse et reconnut June. Qu'est ce qu'elle faisait là ? Elle l'avait suivit ? Non pas qu'elle était mécontente de la voir - plutôt elle qu'un prof pompeux ! - mais elle préférait qu'elle ne soit pas au courant pour le grimoire... pas encore. Et puis, d'un coup, tout lui revint : June préfète, ses rondes, son escapade nocturne interdite. C'est vrai que d'habitude ce n'était pas du tout son genre. Les promenades de nuits finissaient neuf fois sur dix dans le bureau de Rusard et qui disait "attapée" disait "retenue et perte de points". Franchement, elle avait autre chose à faire que de perdre deux heures à récurer des vieilles coupes pourries. Cette nuit avait été l'unique exception.... et comme par hasard elle s'était faite avoir.

« C'est vrai, y a sûrement mieux mais si j'étais allé ailleurs j'aurai pris le risque de tomber sur Rusard, Bell ou MacMillan. », dit-elle dans un sourire.

Mais bien sûr ! Comme si elle savait que le sixième étage était le domaine de June. La vérité c'est qu'elle avait juste eu de la chance, beaucoup de chance. En plus si elle avait eu affaire à quelqu'un d'autre on lui aurait sûrement confisqué son bouquin. D'ailleurs maintenant qu'elle y pensait, elle se demandait quelle serait la réaction de MacKenzy si elle savait ce qu'elle lisait. La connaissant, elle était certaine qu'elle ne lui ferait pas de remontrances sévères mais elle préférait quand même éviter le haussement de sourcil désapprobateur... à moins qu'au contraire elle trouve ça bien ? Elles n'avaient jamais vraiment pris le temps de discuter de magie noire et Grace ignorait tout de la position de June sur le sujet. Dans le doute, mieux valait esquiver. Elle poussa le grimoire par terre comme s'il ne s'agissait que d'un vieux bouquin sans importance et fit mine d'engager la conversation.

« En plus il parait que MacMillan est d'une humeur massacrante depuis que Higgs lui a fait avalé la pastille de gerbe. Vaisey dit qu'ils se sont battus en duel au deuxième étage après manger. C'est vrai ? »

Si l'information était véridique c'était forcément passé par June alias miss potins. Et comme elles en raffolaient toutes les deux, il n'y avait pas meilleur sujet pour détourner l'attention de son escapade nocturne... enfin pour essayer de détourner l'attention. June n'était pas la dernière des Poufsouffles, elle finirait bien par comprendre que Grace tentait d'éviter le sujet. En plus, elle frottait ses doigts encore endoloris par le grimoire pendant qu'elle parlait et ce n'était pas vraiment discret. Cela dit, plus elle retardait l'échéance, plus elle avait le temps de réfléchir à une excuse valable et crédible.