L’objet brillait, éclairé par les rayons du soleil qui perçaient à travers les nuages, ricochant contre sa dorure. Je ne lâchais plus le Vif d’Or des yeux, m’élançant à sa poursuite. Les Cognards fusaient de toute part, dont un me frôla dangereusement avant que je ne parvienne instinctivement à le dévier, de justesse. Je redressais la trajectoire de mon balai, lançant un regard furtif vers l’attrapeur adverse qui devait être bien plus proche de la minuscule balle que je ne l’étais moi-même. Mes mâchoires se crispèrent tandis que mon rythme cardiaque s’accélérait sous l’effet de l’adrénaline. Les cris d’encouragement provenant des gradins ne m’atteignaient pas, alors que j’avais l’impression d’être dans une sorte de bulle qui m’occultait du monde extérieur. Plus concentré que jamais, mon rage intérieure montait en moi. Je n’allais certainement pas les laisser gagner, je m’en faisais le serment. Je puisais alors en moi toute cette colère, cet épuisement et cette injustice que je ressentais teintée de détermination pour me pousser à me donner à mon plus absolu maximum. Ça n’était pas tant la victoire de ce match en elle-même qui était en jeu mais, en réalité, ma seule fierté. Cette fois ça n’était pas tant l’admiration des autres que je tentais de convoiter, quoique cet objectif n’était jamais absolument absent de mon esprit, mais bien plus que cela encore : il en allait de mon propre regard sur moi-même. Regard qui s’était tellement terni que je ne savais plus ce que j’étais réellement, ni même ce dont j’étais capable. Mais l’avais-je réellement su au fond, j’en doutais fort. Tout n’était qu’apparence et illusions, encore et encore, à tel point que je m’étais pris à mon propre jeu de la poursuite interminable vers la perfection, chose que je ne saurais pourtant atteindre. Tout ce que je désirais était que mon père soit fier de moi, que je puisse recevoir cette renommée et ce profond respect qu’il avait toujours su susciter chez les sorciers, voir même en acquérir bien plus encore. Bien sûr j’y étais parvenu, mais pour autant je ne parvenais pas à m’en sentir satisfait. La plupart des élèves avaient beau être à mes pieds, je craignais de défaillir à chaque pas que je pouvais faire devant l’autre pour avancer dans ma vie, et aujourd’hui plus particulièrement en tant que Mangemort.

Je n’arrivais pas à le tuer, Dumbledore m’échappait à chaque fois malgré tous les efforts que je déployais pour ce faire, malgré toutes ces heures passées à ressasser sur la manière avec laquelle je pourrais m’y prendre, perdant au passage ce qui m’était le plus cher. La perte de Daphné n’était plus qu’une question de temps après tout, ma maîtrise de la situation m’avait déjà échappée des mains, et depuis quelques semaines c’était celui que je considérais comme étant mon meilleur ami que j’avais perdu. Définitivement. Et si je refusais de le montrer ouvertement, cette colère que je recelais en moi ne s’en était que décuplée. J’avais mal, profondément, partagé entre la haine et la rancœur, la tristesse et la culpabilité. Mais pourtant je savais parfaitement que cette dernière émotion n’était pas justifiée, pour la simple et bonne raison que je n’avais pas eu d’autre choix que de lui cacher ce que je vivais autant pour protéger ma famille et moi-même que la bonne réussite de ma mission, et Blaise lui-même. Je ne devais me permettre aucun faux pas, ou la Mort m’attendrait assurément au tournant. Tant pis s’il ne le comprenait pas, dans tous les cas il n’en avait pas le choix. Il devra rester dans l’ignorance, quand bien même la perte de son amitié était là le prix à payer. De toute manière il était bien préférable que je la perde que de le voir mourir par ma faute, entraînant les rares autres personnes que j’aimais réellement dans ma chute. Mais pour autant que je le sache pertinemment, je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir mal pour ce qui s’était produit, d’en éprouver une colère tellement intense qu’elle n’avait visiblement pas pu passer inaperçu ne serait-ce que pour Daphné qui m’avait aussitôt demandé de lui rendre des comptes, chose que j’avais fini par céder. Je n’avais pas à avoir honte de mon comportement, je le savais parfaitement, et de toute manière cela ne m’était pas même venu à l’esprit de regretter ma décision. Mais quoiqu’il en soit cela faisait mal. Réellement mal. Qu’importe, de toute manière j’avais bien autre chose à penser, et lui s’y habituera. Fin de la discussion...

Un cri de déception parcouru les gradins tandis que la main de l’attrapeur adverse frôla le Vif d’Or sans pour autant parvenir à le saisir. La balle descendit aussitôt en flèche vers le sol, et aussitôt sans, me poser la moindre question, je plongeai à mon tour en piquet, mon balai prenant un angle dangereusement raide. Mais je n’en avais rien à faire, mes muscles se contractaient pour pouvoir lutter dans la maîtrise de mon équilibre tandis que je fronçai les sourcils, tentant d’anticiper tous les moindre mouvements de l’objet en or. Soudain, celui-ci remonta brusquement dans les airs. Aussitôt, je tendis ma main droite dans un mouvement brusque, un soupir sortant de ma bouche lorsqu’un rictus de satisfaction se dessina sur mes lèvres. Je l’avais... Des acclamations de joie retentirent aussitôt tandis que la voix de Jordan annonça la victoire de Serpentard. J’avais réussi. Les autres joueurs de l’équipe se dirigèrent alors vers moi, nous ressemblant tous pour nous féliciter. Je croisais alors un bref instant le regard de Blaise teinté d’une expression que je ne sus interpréter, ne prenant à vrai dire pas non plus le temps de le faire alors que je descendais vers le sol pour mettre pied à terre. Daphné vint à ma rencontre suivie d’autres Serpentards, tandis que les autres joueurs discutaient avant de se diriger par la suite vers les vestiaires une fois que l’effervescence retomba dans le terrain à présent dépeuplé au fur et à mesure que les élèves se dirigeaient vers la Grande Salle pour prendre leur repas. J’attendais alors le maximum de temps possible avant de prendre la direction des vestiaires, veillant soigneusement à ce que la majorité des membres de l’équipe se soient déjà changés. Je n’avais malheureusement pas d’autre choix que de me changer là-bas, alors il fallait que je sois particulièrement vigilant à ce que nul n’aperçoive le Sceau des Ténèbres que je portais à mon bras. Lorsque ceux-ci se vidèrent, je dis alors à Daphné que je la rejoindrais dans le hall d’ici une vingtaine de minutes le temps que je me lave et que je ne prépare pour rejoindre les autres. Celle-ci acquiesça avant que je ne détourne les talons et ne me dirige vers la pièce relativement vaste dans laquelle il ne restait plus que trois joueurs... dont Blaise. Je retins un soupir et me dirigeai vers le banc sur lequel j’avais soigneusement replié mon costume, posant mon Eclair de Feu et m’asseyant un instant avant d’ôter ma cape de Quidditch aux couleurs de Serpentard et de la replier dans une lenteur légèrement exagérée. Deux joueurs sortirent alors, ne me laissant qu’avec celui auquel je désirais le moins parler. Pour dire quoi de toute manière ? Nous avions déjà fait le tour de la question, et s’il s’attendait à des excuses de ma part il n’était pas prêt d’en avoir. C’était certes stupide de raisonner de la sorte mais je n’avais jamais fait mes excuses à quelqu’un et ça n’était pas aujourd’hui que cela allait changer. D’autant plus que s’il ne s’en doutait certainement pas, je n’avais rien à me reprocher si ce n’est le fait de vouloir épargner ma vie, celle de ma famille et la sienne. Il y avait plus terrible comme faute que celle-ci, non ?

Le vert et argent se retira enfin, me laissant seul dans les vestiaires. Je poussais un soupir de soulagement et retirai mes protections, mes bottes, ainsi que le reste de mes affaires. Prenant mes deux serviettes avec moi, je me dirigeai ensuite vers les douches sous l’une desquelles je m’enfonçais, fermant les yeux tandis que le liquide brûlant glissait sur mon corps, plaquant mes cheveux d’un blond presque blanc que je passais en arrière d’un revers de la main. Après m’être ensuite passé au gel douche et shampoing, j’enroulais ma serviette autour de ma taille tandis que je frictionnais mes cheveux de la seconde, retournant vers les vestiaires. Je finissais d’enfiler alors en premier lieu mon boxer puis mon pantalon noir lorsque le bruit de la porte derrière moi me figea soudain. Quelqu’un venait d’entrer... Je saisis aussitôt ma serviette que je posai sur mon avant-bras gauche afin de dissimuler ma Marque, mon coeur prenant un rythme soudainement bien plus rapide, me retournant pour voir de qui il s’agissait.

Lorsque Blaise quitta les vestiaires, un long soupir mêlé d’agacement et de soulagement teinté de lassitude s’échappa de mes lèvres. Chaque fois que je le croisais cette « discussion » pour le moins houleuse que nous avions eue me revenait en mémoire, ou plutôt semblait me sauter en plein visage dans une sorte de claque. Je lui en voulais terriblement, même si au fond je pouvais comprendre sa frustration due à mon silence. Il ignorait ce que je faisais et dans quel but, certes, mais pour autant j’estimais qu’il aurait certainement pu chercher à comprendre mes raisons si notre amitié avait eu ne serait-ce qu’un semblant de signification et d’importance à ses yeux. En même temps, l’aurai-je laissé me comprendre ? Lui aurai-je donné les clés pour comprendre ce qui se tramait ? Non, bien sûr que non. Alors au fond il n’y avait qu’une chose à dire sur la situation : l’inévitable avait fini par se produire, et je ne pouvais pas dire que je ne m’y étais pas spécialement attendu. Non, en réalité je savais que tôt ou tard ce moment finirait par arriver, mais je ne pensais pas que j’aurai pu ressentir cette douleur. A vrai dire, je n’avais même jamais prêté réellement garde à mes émotions, ou tout du moins aux sentiments que je pouvais avoir pour d’autres personnes. Peut-être étais-je égoïste, certes, mais c’était dans ma nature et, au fond, peut-être une sorte de protection. Au moins ne pas m’attacher aux personnes me permettait d’être bien moins sensible à leur jugement qui m’atteignait bien plus que je ne voulais déjà le montrer.

Ainsi, lorsque Blaise quitta les vestiaires, je pus enfin penser à me changer en toute sérénité sans avoir la crainte que qui que ce soit ne remarque la Marque que je portais sur le bras. Je me déshabillais alors et pliais soigneusement mes affaires avant de prendre mes serviettes et de me diriger vers les douche, produits à la main. Je plongeai sous le débit d’une eau chaude, presque brulante, qui coulait sur ma peau presque devenue aussi blanche que l’était le sol recouvert de son épaisse couche de neige. Je pris tout mon temps, essayant de me vider l’esprit en ne me focalisant que sur le match qui venait de se dérouler et que nous avions également remporté en grande partie grâce à moi. Certes nous avions déjà de nombreux points d’avance, mais j’avais fini de marquer cet écart tout en signalant la fin de ce match une fois le Vif d’Or attrapé. J’étais fier de moi, oui, comme cela me l’arrivait pourtant de moins en moins souvent à force de cumuler les échecs. Bien souvent toutefois ma propre fierté n’avait été qu’une feinte, une façade pour me faire respecter et m’imposer. Et si j’avais fini par me prendre à mon propre jeu, les derniers évènements survenus depuis l’été dernier avaient fait naître à nouveau en moi cette inquiétude existentielle : la crainte de ne pas être à la hauteur. C’était pourquoi ce match avait été si important pour moi. J’avais beau tout essayer et tenter d’établir des plans plus complexes et minutieux les uns que les autres pour parvenir à mes fins en ce qui concernait Dumbledore, rien de ce que j’avais entrepris n’avait fonctionné. Et la fin de l’année venait déjà à grand pas... Je ne croyais plus en rien, jusqu’à mes propres capacités ce qui été devenu chose rare du moins en apparence, alors le seul moyen pour me prouver que j’avais encore de la valeur avait très vite été détourné vers le Quidditch. Ce sport était rapidement devenu le seul moyen dans lequel je pouvais voir directement mes compétences. Bien entendu je n’oubliais pas ce que j’avais déjà parvenu à accomplir en trouvant la faille de Poudlard à laquelle le grand Albus Dumbledore lui-même n’avait pas pensé. J’étais loin d’être stupide, j’étais un bon sorcier, j’avais du pouvoir, j’étais devenu Mangemort à seulement seize ans alors il était impensable que je me remette à ce point en question. Et pourtant...

Je sortis enfin de la douche après de longues minutes passées à me laver et à penser, une serviette enroulée autour de la taille tandis que de l’autre je frottais vigoureusement mes cheveux blonds pour les sécher. Mon regard descendit un instant sur la Marque qui reposait sur mon avant-bras gauche, symbole tout autant de ma fierté que de ma déchéance. Je retins un soupir et m’essuyai avant d’enfiler mon boxer et mon pantalon noir taillé sur mesure, attachant ma ceinture lorsque soudain le bruit de la porte qui se referma derrière moi me figea.
Aussitôt, je posais ma serviette repliée sur mon avant-bras gauche dans un geste précipité, avant de tourner la tête pour découvrir l’identité de la personne qui venait d’entrer.
Blaise... Qu’est-ce qu’il fichait encore ici celui-là ? Ma respiration prit un rythme légèrement saccadé sous le coup de l’angoisse, mon corps se raidissant aussitôt que Blaise se dirigea vers moi d’un pas décidé, retirant brusquement la serviette qui dissimulait ma Marque des Ténèbres sans que je ne parvienne à l’en empêcher tant il fut rapide. Mon visage se mut en une expression de surprise, de peur et de colère de plus en plus grande et oppressante, tandis que le Serpentard jetait au loin la serviette pour me saisir sans ménagement par le bras, ses yeux mêlés de dégoût et de haine rivés sur celui-ci.

« Lâche-moi !!! » Lui hurlais-je en essayant violemment de me dégager, fulminant de rage.

Celui-ci s’exécuta sèchement sous mon regard apeuré par ce qui venait de se produire. Il n’aurait jamais dû la voir, jamais... Et comme si c’était le moment le plus approprié pour ce genre de chose, Zabini cru particulièrement bon de lâcher ses éternels sarcasmes, déclarant comprendre à présent que mes intentions se reportaient sur ma nouvelle situation et non pas sur mon soi-disant projet de me marier avec une Daphné qui m’aurait jeté un sort pour être avec elle. Bien entendu, je n’en attendais pas moins venant de sa part.

« Fous-moi la paix Zabini » Lâchais-je sur un ton venimeux et menaçant.

Une cascade d’émotion déferlait en moi, me secouant de part en part comme si j’étais pris au beau milieu d’un ouragan qui m’emportait avec lui. Qu’allait-il se produire jusqu’à présent ? Il n’en parlerait pas, c’était une certitude, même si ma confiance déjà limitée - et qui l’était d’autant plus à présent à son égard - aurait pu me pousser à penser le contraire. Mais malgré tout je le connaissais bien assez pour savoir qu’il n’allait pas crier cela sur tous les toits ou bien me trahir à qui que ce soit. Non, ce qui me faisait peur, c’était ce que cette révélation pourrait entraîner malgré lui. Le Maître savait tout, Il finissait toujours par tout apprendre, personne n’était à l’abri et moi d’autant plus...
Décidé, Blaise reprit ses reproches continuels, me disant qu’il aurait simple, si je ne parvenais pas à lui parler, de simplement lui montrer la Marque après un entraînement par exemple. Il m’aurait compris et soutenu, malgré ce qu’il pensait de cette cause à laquelle j’étais voué à être rallié depuis ma naissance. Il me demanda également ce qui m’avait poussé à garder le silence, si c’était bien trop dur, une simple question de manque de confiance en lui, la peur qu’il me trahisse ou bien qu’il ait pitié de moi, concluant en ajoutant que je pouvais lui répondre sans crainte car il avait sécurisé les vestiaires. J’avais écouté ses paroles les lèvres pincées en tentant de garder la face, chose que je ne parvenais pas à faire. Au diable mon masque, je n’en pouvais tout simplement plus de devoir me cacher encore et encore. Le corps tremblant sous le coup de l’émotion, je laissais toutes mes émotions me submerger, totalement épuisé :

« Mais ce n’est pas possible, tu es complètement stupide ou quoi ?! Réfléchis ne serait-ce que deux secondes, tu crois que je me tais pour quoi ? J’ai toujours rêvé de devenir un Mangemort, tu le sais plus que quiconque, alors pourquoi crois-tu que je n’ai rien dit tout ce temps à présent que je le suis si ça n’était qu’une simple question de volonté ? »

Je haletais, me sentant soudainement pris d’un vertige passager. Je me mordis alors durement la lèvre avant de relever la tête vers lui, plongeant mon regard d’un gris métallique dans le sien :

« Tu crois quoi ? Que je suis heureux ? Que ça me fait plaisir de t’avoir tenu à l’écart alors que tu es l’une des deux seules personnes à laquelle j’aurais voulu pouvoir me confier ? Mais merde Blaise, remballe ta fierté et ouvre un peu les yeux ! Tu ne comprends pas que si je ne t’ai rien dit c’était pour te protéger ? »

Jamais je n’avais encore réussi à parler avec autant de sincérité, mais cela me mettait hors de moi. S’il avait compris pour la Marque, alors comment n’avait-il jamais pu penser qu’en la découvrant il se mettait en danger ? A présent le sort d’une personne de plus dépendait de moi, et qui plus est celui que j’avais toujours considéré comme étant mon meilleur ami. Et à cause de cette stupide curiosité il n’avait pas réalisé que si jamais les choses venaient à mal tourner, ce qui était bien parti pour être le cas, il serait dans les premières personnes à être menacées ? Je me laissais tomber sur le banc à côté de moi, appuyant mes coudes sur mes cuisses alors que j’enfouissais ma tête dans mes mains, lâchant un soupir épuisé, tremblant.
Une chose était certaine, je ne devais plus faire le moindre faux pas. Ma mission devait réussir, coûte que coûte...

Cela faisait quelques temps déjà que je n’avais pas été autant hors de moi. Pourtant bien des occasions m’avaient été offertes pour que mon épuisement et mes inquiétudes arrivent à un tel paroxysme que les sentiments que je refoulais au plus profond de moi-même finissent par littéralement me faire exploser. Toutefois rien ne pouvait plus me plonger dans un tel état de fatigue nerveuse que ce qui était en train de se produire en cet instant-même. J’avais l’impression d’avoir été trahi, pris au piège une nouvelle fois alors que Blaise m’avait en quelques sortes placé contre un mur sans que je ne puisse avoir la moindre chance de m’enfuir. La vérité devait bien finir par éclater de toute manière, mais je n’avais pas encore eu le temps de m’y préparer. Pas encore. Je ne pouvais plus m’échapper, je ne pouvais plus lui mentir, c’était bien trop tard. Il l’avait compris, il l’avait su, il l’avait vu... Que devais-je faire maintenant ? Lui jeter un sort pour que sa mémoire s’efface ? Non, je ne pouvais pas faire ça, quand bien même s’aurait certainement été le meilleur moyen pour le mettre à nouveau en sécurité alors qu’il venait tout seul de plonger la tête la première dans cette menace perpétuelle qui ne pendait plus seulement au-dessus de ma tête, celle de ma famille et de Daphné, mais également à présent sur celle de Blaise. Mais avait-il non seulement conscience de ce qui l’attendait maintenant si les choses venaient à se gâter ? Comprenait-il qu’il menaçait non seulement la réussite de ma mission mais également celle de tout mon entourage et de lui y compris ? J’en doutais très sincèrement et ne prenais aucune pincette pour lui faire largement comprendre qu’il était plus stupide qu’autre chose de n’avoir pas mesuré la moindre seconde les conséquences qui pouvaient en découler. Car même sans connaître la nature-même de ma mission et les personnes qui étaient impliquées là-dedans, nul n’était sans savoir que la moindre déception que l’on pourrait apporter au Seigneur des Ténèbres offrait un aller simple vers la mort. Et encore fallait-il avoir la chance d’être tué directement, ce qui ne serait certainement pas mon cas si j’échouais face à une tâche de cette ampleur. Après tout je l’avais déjà vu faire bon nombre de fois, alors que Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom nous offrait le spectacle d’un corps amèrement torturé durant des heures et dans la plus atroce des souffrances, ne serait-ce que pour nous donner un exemple de ce qui nous attendrait si nous ne respections pas Ses volontés. Et finir par la suite dans l’estomac de Nagini ne m’enchantait pas particulièrement non plus... Mais Blaise, même sans savoir quel sort Il réservait particulièrement à ses partisans et toutes ces personnes qui avaient le malheur de se dresser contre Lui, devait bien se douter que ces punissions étaient de taille. Alors quoi ? Si prendre autant de risque pour une simple question de curiosité n’était pas à proprement stupide, je ne savais pas ce que cela pouvait être.

Je lui avais lâché chacune de mes paroles d’une voix tremblante par la peur, l’inquiétude, la rage et ce sentiment amer de trahison que je ressentais, finissant même par lui avouer que si je m’étais tu jusqu’à présent cela n’avait été que dans l’unique but de le protéger. Jamais des paroles aussi sincères n’avaient été prononcées de ma bouche. Pourtant j’étais une personne franche, mais absolument pas en ce qui concernait mes sentiments, tout étant bon à les dissimuler aux yeux du monde lorsqu’il s’agissait de sentiments autres que la colère ou, à la rigueur, la joie qui se manifestait la plupart du temps lorsque je prenais, comme bien souvent, le dessus sur autrui. Mais en dehors de cela, tout sentiment amoureux voire même amical n’était jamais formulé pour, je l’avoue, en majeure partie une question de fierté. Moi-même avais-je été totalement surpris par ce que je venais de lui dire, tandis que je voyais le visage de Blaise se décomposer de plus en plus face à moi.
Je me laissais tomber sur le banc d’à côté, enfouissant mon visage dans la paume de mes mains tandis que je sentais mes yeux me brûler par ces larmes de colère qui montaient et que je devais cacher, bien que je me doutais largement qu’il avait dû les apercevoir. Le corps parcouru de tremblements nerveux, j’entendis Blaise lâcher un soupir avant de s’asseoir à mes côtés, passant, à ma grande surprise, son bras autour de mes épaules. Je ne bougeai alors plus, écoutant attentivement la moindre de ses paroles lorsqu’il me demanda en quelques sortes qui était le plus idiot de nous deux dans cette histoire. Il me connaissait depuis de longues années, et avais toujours su que je désirais plus que tout de suivre les traces de mon père en devenant également un Mangemort à mon tour. Pourtant, jamais il ne s’était détourné de moi, même en connaissant cette vérité, et sachant pertinemment que le seul fait d’être alors ami avec moi deviendrait tôt ou tard une source de danger pour lui. Mais les mots qui me heurtèrent le plus furent lorsqu’il m’avoua à son tour que s’il avait fait tout cela c’était non seulement parce qu’il tenait à moi, mais parce qu’il était également prêt à mourir pour moi.

Sa voix était restée calme, bien que je sentais que je n’étais pas le seul à vivre cet orage intérieur qui m’en donnait presque la nausée par sa force et son acharnement. Est-ce que je m’étais attendu à entendre une telle chose un jour ? Non, bien sûr que non. Je savais quel genre d’amitié nous unissait, mais pour autant aucun de nous deux n’avait jamais été capable de la formuler. Nous avions partagé bien des choses, mais jamais je n’avais cru pouvoir un jour entendre cela sortir de sa bouche. Je relevais lentement la tête, me sentant mal. Terriblement mal. Comment avais-je pu me tromper à ce point ? J’avais eu tort, depuis le début, et cela m’était atrocement dur de l’admettre. Mais en réalité jamais je ne m’étais attendu à ce qu’il soit prêt à se mettre en danger pour moi. Pourtant j’avais bon nombre d’élèves à ma botte, et Crabbe et Goyle seraient les premiers à sauter du haut de la Tour d’astronomie si je le leur demandais, mais les choses étaient différentes venant de Blaise. Pourquoi ? Parce que lui, à la différence des deux autres par exemple, était bien plus malin pour savoir prendre des décisions seul et par lui-même, de même qu’il n’était pas devenu ami avec moi par crainte, mais par respect et sincérité. Alors jamais je ne l’aurai cru capable de faire cela en son âme et conscience, et à présent les mots me manquaient. Que pouvais-je répondre à cela ? Que je m’étais trompé sur toute la ligne ? Que j’avais cru bien faire tout en ne m’étant pas rendu compte que les choses pouvaient être toutes autres que je ne l’aurai imaginé ? Je n’en savais rien.

Je déglutis avec peine, fermant un instant les yeux pour remettre mes idées en place, ma tête me faisant soudainement souffrir le martyr. Je lâchais alors un profond soupir avant de lui dire enfin et avec difficulté, d’une voix calme dénuée de toute colère mais empreinte de lassitude :

« Je... Je n’en savais rien. C’est juste que... j’ai l’impression que je vais tout perdre. Absolument tout. Je ne peux pas me permettre de faire le moindre faux pas. Je dois maîtriser parfaitement la situation sinon... je n’y arriverai pas. Mais depuis le début rien ne se passe comme ça l’aurait dû. Même Daphné m’a pris au piège, alors... » Lui confiais-je, le regard demeurant fixé droit devant moi.

Je ne savais plus comment faire. Jamais je ne m’étais senti aussi impuissant de toute ma vie. Jamais.

Je ne m’étais pas attendu à cela, absolument pas... Jamais je n’aurai cru que nous n’aurions ne serait-ce qu’à nouveau une conversation normale depuis ce qui s’était passé cette matinée-là. Et pourtant en ce moment-même nous étions allés jusqu’à mettre notre fierté exacerbée de côté, Blaise m’avouant combien il tenait à moi, chose que je n’avais jamais supposée, et moi en autorisant ces quelques larmes qui perlaient au coin de mes yeux à s’écouler enfin, devant lui. Je n’avais plus peur de lui montrer ce que je ressentais non seulement parce que je ne pouvais plus contenir toutes mes émotions, mais aussi parce que je réalisais que depuis toutes ces années où nous nous connaissions, après tout ce que nous avions vécu, j’avais été totalement aveugle. Pourtant j’aurai pu m’en rendre compte plus d’une fois, et dans un sens ç’avait été le cas car d’une manière ou d’une autre je n’avais pas le même comportement envers lui qu’envers tous les élèves qui m’entouraient. Mais peut-être ne s’en était-il pas lui-même rendu compte non plus, ou bien peut-être étais-je tellement dissimulé derrière ce masque de paraître que je ne lui avais même pas laissé la possibilité de s’en douter. Une chose était certaine en tout cas, si je ne me remettais que difficilement en question dans le seul véritable but de me protéger de mes pensées et non pas pour une question réelle de fierté, il avait éveillé tellement de questions en moi que je ne savais plus quoi faire, plus perdu et déboussolé que jamais. J’avais l’impression d’être emporté par le courant, tentant en vain de nager à contre-sens pour pouvoir être épargné. Toutefois plus les choses avançaient et moins j’étais maître de la situation, me précipitant de plus en plus vers ces chutes vertigineuses qui m’attendaient.

Ce fut lorsque le Serpentard s’accroupi face à moi que je fermais les paupières, serrant les dents pour reprendre le dessus sur moi-même, mais en vain. C’est alors qu’une première larme se précipita le long de ma joue blafarde, mais que je chassai aussitôt d’un revers de la main, reniflant légèrement. Il fallait que je retrouve le contrôle de mon être, mais je n’y parvenais plus. J’essayais simplement de me calmer, respirant calmement malgré que mes mains continuaient de trembler. Je promenai brièvement mon regard sur la pièce, évitant celui de Blaise le temps de remettre mes idées en place dans ma tête, bien entendu en vain. Je lâchai un soupir, alors que l’une de ses mains se posa derrière ma nuque, la seconde sur mon avant-bras gauche, sous le Sceau qui avait fini de faire basculer ma vie dans l’Enfer qu’elle était à présent. Mais si je détestais particulièrement toute forme de proximité avec qui que ce soit – hormis bien sûr Daphné – je ne cherchai toutefois pas à l’en chasser, car j’avais enfin l’impression de ne plus être vraiment seul. Et si je ne savais plus ce qui allait se passer à présent que le voile était levé à ses yeux, je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir soulagé qu’il ait découvert ce que je tramais, du moins plutôt ce que j’étais devenu. Ma mission, elle, resterait à jamais secrète.

La voix de Blaise attira à nouveau mon attention lorsqu’il me demanda de l’écouter attentivement, me disant qu’il était et qu’il sera toujours là pour moi. Je ne répondis rien, sentant seulement mes mâchoires se crisper alors que je me faisais violence pour ne pas défaillir. Il aurait dû me le faire comprendre bien plus tôt, reprit-il, mais aussi borné que je l’étais je ne l’aurai pas écouté. Avait-il tort ? Non, j’en doutais fort. Je l’aurai rangé dans un coin de mon cerveau, ou bien peut-être n’y aurai-je pas spécialement fait attention, ou ne l’aurais-je tout simplement pas cru... A vrai dire, je ne savais pas tellement comment j’aurai réagi, tout simplement, quoiqu’à l’époque j’étais bien plus moqueur qu’autre chose même si lui je ne l’aurai certainement pas raillé comme je le faisais d’habitude. Une chose était sûre en tout cas et sur laquelle nous étions tous deux d’accord, aujourd’hui j’étais plus apte à l’entendre. Mais plus Blaise me parlait, plus ses paroles me touchaient avec violence non pas parce que ses mots étaient durs, ce qui n’était pas le cas, mais parce qu’ils étaient d’une véracité déroutante. Et si depuis tout à l’heure j’essayais de me reprendre, il me donna le dernier coup de grâce qui finissait de me faire succomber lorsqu’il me dit que j’avais grandi en me forgeant l’identité d’un autre que je n’étais pas, cet autre qui était, en réalité, l’image de mon père lui-même. A ses paroles, je baissais mon regard vers mes mains qui se mirent à nouveau à trembler, alors que je serrai les poings pour les en empêcher à tel point que mes ongles s’enfonçaient durement dans ma chair. Mais ce fut tout particulièrement lorsqu’il me demanda si malgré mes efforts mon père n’avait, ne serait-ce qu’une seule fois, montré qu’il était fier de moi, et s’il m’avait même jamais dit qu’il m’aimait, que mes dernières défenses se brisèrent. Blaise avait vu juste, depuis le début. Je vouais à mon père une admiration sans borne, et ce depuis mon plus jeune âge. Il était mon modèle, celui auquel j’avais toujours rêvé de ressembler. Il avait tout : le succès, le pouvoir, l’influence... tout ce dont un fils pouvait rêver, fils qui, d’ailleurs, devra tôt ou tard assurer à son tour l’honneur de sa famille. Mais comment le pouvais-je ? Il était tout ce que je n’étais pas, et non, jamais il n’avait été fier de moi. J’avais pourtant tout fait, mais rien n’était jamais suffisant. Jamais une parole aimante n’avait été prononcée à mon égard, pas la moindre reconnaissance, rien. Et si je m’en étais fait une raison, il n’en demeurait pas moins que ma douleur était omniprésente en moi. Je n’existais qu’à travers lui aux yeux du monde, l’héritier de Lucius Malefoy. Mais qui étais-je réellement au fond ? En réalité, je ne m’étais même jamais posé la question...
J’avais l’impression que tout s’écroulait autour de moi, comme si j’avais été percé à jour moi qui, pourtant, avais toujours pris soin de cacher mes blessures qu’il avait pourtant comprises.
Je sentis sa main appuyée contre ma nuque se resserrer légèrement comme pour m’empêcher de m’effondrer, ce que je ne pouvais ni ne devais faire. Tout sauf cela...

Il serait bon que je réfléchisse à qui j’étais, me dit-il... Mais le voulais-je vraiment ? Je n’en savais rien, qui donc pourrait bien s’intéresser à celui que j’étais sans me voir pour autant à travers mon statut et ce que je représentais ? Et plus que tout j’étais persuadé que si j’étais réellement moi-même, alors la fierté de ma famille serait plus instable que jamais. Je n’étais pas comme mon père, je n’avais pas son caractère ni sa force intérieure, et devenir un Mangemort était surtout, au fond, parce que je voulais lui prouver que j’étais bien plus qu’il ne me considérait. Je n’étais ni un faible ni un imbécile, mais pourtant face à lui je n’étais rien. Absolument rien. Combien de fois m’avait-il lancé son regard glacial lorsque le moindre faux pas était fait ? Je n’avais pas le droit à une seule erreur, mais comme tout enfant j’en avais fait plus d’une. Du moins à ses yeux. Seule ma mère était éternellement fière de moi, mais pourtant je ne parvenais plus à prêter attention à ses louanges, focalisé sur le seul avis de mon père. Pour elle j’étais le fils modèle, parfait, mais pour lui je n’étais que le fruit de sa déception.

Blaise ajouta également qu’un jour où l’autre il me faudra me prendre réellement en main quelle que soit l’issue de cette guerre et le camp qui en sortira vainqueur, cessant alors de n’être rien plus qu’un pion. Je fronçais les sourcils à l’évocation de ce terme, ayant toujours refusé d’être considéré comme tel. Je n’étais pas un pion mais un acteur primordial dans cette guerre. Quoiqu’au fond les deux revenaient sensiblement à la même chose...
Un silence de plomb s’installa dans les vestiaires, que rien ne venait perturber. Blaise s’était tu, mais je savais qu’il n’en avait pas fini pour longtemps. Il me laissait simplement le temps de digérer tout cela. Mon regard avait une nouvelle fois quitté le sien que je peinais à soutenir tant j’avais, pour la première fois de ma vie autre que face au Seigneur des Ténèbres, l’impression d’être vulnérable. Le regard vide, trouble, perdu devant un point que je ne voyais pas, je ne sentis même pas qu’une nouvelle larme s’était précipitée le long de ma joue. Le visage de mon père hantait mon esprit, de même que ce trop plein d’émotions me fatiguait totalement. J’avais l’impression que tout ce que j’avais jusqu’à présent tenté de garder au plus profond de moi venait enfin de s’exprimer, ne pouvant plus demeurer enfermer en mon for intérieur. Le seul moment où je revins à nouveau ici-bas fut lorsque Blaise rompit une nouvelle fois ce silence, me parlant à présent de ma mission mais aussi et surtout... de Daphné. Mon regard aussi gris que le métal croisa une nouvelle fois le sien lorsqu’il prononça son nom, me disant au fond qu’il ne savait pas réellement ce que je ressentais puisque nous n’en avions jamais parlé. Pourtant si je tenais à elle, une seule solution s’offrait à moi : la quitter si je voulais la protéger. Lui était en sécurité si jamais quoi que ce soit venait à se produire, il avait les ressources nécessaires pour se protéger, mais elle... Lui comme moi savions que si le Lord Noir venait à vouloir se venger de moi, ce qui avait un risque sur deux d’arriver, il s’en prendrait bien évidement à elle pour m’atteindre. Alors, selon Blaise, je devais mettre un terme dans cette histoire, tant qu’il en était encore temps. Ce qui était étrange, c’est que malgré les ressentiments qu’il avait envers elle, je sentais sans le moindre doute qu’aucune de ses paroles n’était véritablement contre elle. Revirement étrange de sa part, mais s’il ne l’appréciait pas il faisait cela pour moi. Blaise se redressa enfin, une main toujours posée sur mon épaule, attendant certainement que je prononce enfin quelque chose. Mais la seule chose qui sortit de mes lèvres fut un profond soupir de désespoir et de résignation. Et demeurant silencieux quelques instants encore, je lui dis enfin :

« Je le sais. Je le sais depuis le début. En réalité je ne voulais pas sortir avec elle initialement, car j’ai toujours su que tôt ou tard il faudrait y mettre un terme. Je savais qu’elle serait en première ligne si jamais... quoique ce soit venait à mal tourner. Mais finalement je n’ai pas pu lui dire non. Elle voulait m’aider, je le voyais, et à vrai dire j’allais tellement mal que je me disais qu’elle seule pourrait m’apporter quelques rares moments moins durs que les autres. Le problème c’est qu’en faisant cela, je sais combien elle est menacée, et si elle a conscience des risques qu’elle prend elle n’abandonne pourtant pas. Alors je ne m’investis pas vraiment dans notre relation, pas parce qu’elle ne me plait pas mais parce que je sais que cela prendra fin. Et ce jour-là je vais tomber encore bien plus bas que je ne le suis déjà, parce que la vérité c’est que... » Lui expliquais-je, laissant ma dernière phrase en suspens.

J’avais du mal à le dire, je n’y arrivais pas. Mais je lui devais des explications. Il les méritait vraiment. Je tournais la tête vers lui, lui avouant enfin :

« La vérité c’est que j’en suis tombé amoureux. »

A ces mots je fermais un instant les yeux, comme si dire enfin ce que je ressentais m’avait ôté d’un poids improbable. Je pris une inspiration plus forte que d’accoutumée pour pouvoir trouver en moi les ressources nécessaires pour poursuivre, avant de lui dire :

« Je sais que tu as raison, et je vais bientôt devoir mettre un terme à tout cela, j’en ai conscience. Mais pas maintenant. Je ne le pourrais pas. »

Spoiler:

Je me sentais comme le dernier des imbéciles à présent que je venais de lui parler. Peut-être était-ce parce que je n’avais tout simplement pas l’habitude de faire part de mes sentiments à qui que ce soit, mais une chose était certaine, ça serait l’une des rares fois où je le ferai. J’avais toujours considéré cela comme étant une marque absolue de faiblesse, et rien n’était plus désagréable que cela. Pourtant j’avais cette étrange sensation de libération à présent que ces mots que je refreinais tant étaient sortis de ma bouche, et même si cela m’indisposait ils étaient tombés dans les oreilles de la personne que je considérais comme étant mon meilleur ami alors, au fond, je n’avais pas à me montrer si mal-à-l’aise.

Blaise se redressa à mes paroles, visiblement stupéfait par ce qu’il venait d’entendre. Pourtant, et si je savais parfaitement qu’il était loin de porter Daphné dans son cœur, mes dires n’avaient pas l’air pour autant de le repousser ou de le dégoûter. Non, il était même... compréhensif. Devais-je m’en montrer surpris pour autant ? Non, bien sûr que non car je savais qui il était, et ce depuis des années. Je connaissais Blaise depuis que nous étions gamins, et même s’il était un brin caractériel il savait aussi faire preuve d’une grande humanité dont je n’étais moi-même pas doté.

Je fixai le sol, perdu dans mes pensées tandis que le silence de plomb qui s’était installé entre nous était seulement perturbé par le bruit de ses pas tandis qu’il faisait les cent pas, visiblement tout aussi préoccupé que je l’étais. Pris de vertiges, j’avais la sensation que ma tête soudainement devenue lourde n’allait plus tarder à exploser tandis que les sons paraissaient être étouffés dans du coton. Je lâchai un profond soupir avant de passer une main tremblante sur ma nuque endolorie, fermant les yeux en esquissant une brève moue de douleur. Ce match avait déjà été pour le moins mouvementé, alors à présent que mes muscles se contractaient sous l’effet de la nervosité la sensation devenait de plus en plus désagréable.
Blaise arrêta soudain de faire ses cents pas, puis se dirigea à nouveau vers moi avant de tirer le banc qui se situé juste à face pour le rapprocher et s’asseoir, tandis que je relevais mon regard lassé et sincèrement épuisé vers lui, mon visage toujours appuyé contre la paume de mes mains.

Sentant qu’il s’apprêtait à nouveau à me parler, je me redressai, étouffant un soupir tandis que je ne savais tout bonnement plus où me mettre. J’avais une sainte horreur de me retrouver dans cette position de désespéré alors que cela ne me ressemblait pas. Et si me confier me faisait un peu de bien, je l’avoue, le fait de ne plus garder tout cela pour moi me montrait à quel point j’étais tombé bien bas. Si pour Blaise parler était naturel, c’était loin d’être le cas pour moi et pour en venir à un tel extrême c’est que j’étais décidément bel et bien au bord du gouffre. Mais cela, je m’en doutais depuis longtemps...
La fatigue et la lassitude prenant alors le pas sur ma colère et ma tristesse, Blaise senti que je devais être suffisamment résigné pour pouvoir l’écouter une nouvelle fois sans rechigner et repartir dans mes excès de colère habituels. Posant alors sa main sur mon genou, je levais le regard vers lui, celui-ci aussi vide et terni que l’était mon cœur à cet instant-même, déserté de toutes émotions contre lequel elles s’étaient jusqu’à lors acharnées sans merci, ne me laissant pas le moindre instant de répit.

C’est alors que Blaise m’expliqua qu’il ne voyait en tout et pour tout que trois solutions dans le cas où j’étais. La première était d’assumer pleinement mon rôle et de suivre les traces de mon cœur auquel il peignait un portrait peu flatteur. Toutefois je n’osais pas l’interrompre, sentant que malgré toute l’admiration que je vouais à cet homme qui avait toujours été mon plus grand modèle, il n’avait au fond pas réellement tort. Oui, mon père était un homme froid qui n’avait jamais témoigné à quiconque ses sentiments. Mais n’étais-je déjà pas comme lui, au fond ? Etait-il le seul à voir en moi autre chose que cette vérité qui me caractérisait ?
Blaise poursuivit, ajoutant que Daphné ne serait alors rien d’autre qu’une épouse soumise forcée à rejoindre tôt ou tard le rang du Seigneur des Ténèbres à son tour avant de sacrifier sa vie pour notre enfant, tout comme le faisait mes parents envers moi-même, ou plutôt ma mère. Car je doutais très sincèrement que mon père ne se préoccupe réellement de moi un jour... Puis un jour mon pseudo fils me haïra en choisissant de vivre autre chose que ce choix pour lequel j’avais finalement opté, ayant plus de courage que moi pour me battre pour ses propres convictions et non plus celles que dictait notre rang et notre fierté. Et ce jour-là seulement je comprendrais alors, selon lui, que le seul et unique chemin que j’aurai dû prendre n’aurait jamais dû être celui-ci. A ses paroles je fronçais les sourcils, baissant à nouveau les yeux, ne sachant plus quoi en penser. C’était pour le moment l’avenir qui me semblait être le plus évident si jamais je venais à réussir et à sauver ma vie.

Un silence s’installa à nouveau entre nous, toujours aussi lourds que les autres. Mais je sentais qu’il n’avait pas fini et ne dis rien, attendant la suite qui ne tarda plus à venir. La seconde possibilité, selon lui, était parfaitement opposée. Je rejoignais finalement le camp de Dumbledore, me battrais pour ce chemin et cette cause qui ne m’amènerait plus que sur deux possibilités à nouveau : ou bien je périrai au combat, ou bien je réduirai l’honneur de ma famille à néant. Je relevais le regard vers lui, l’interrogeant du regard d’un air perplexe, me demandant ce qu’il me racontait là avant que celui-ci ne me dise dans un rictus moqueur qu’en gros le style du balafré ne serait peut-être pas tout à fait mon genre. Je ne pus alors m’empêcher de lâcher un léger rire soufflé, hochant brièvement la tête en haussant les sourcils d’un air de dire que c’était très peu pour moi. Ce serait tomber réellement très bas que de faire ce choix-là qui ne m’avait jamais ne serait-ce qu’effleuré l’esprit et pour lequel je ne prendrais même pas la peine de réfléchir et poser le pour et le contre. La réponse était déjà toute vue.

Enfin, la dernière solution qu’il voyait, et qui serait soi-disant la meilleure selon lui, serait de mener ma mission jusqu’au bout et de fuir Daphné pour la protéger en attendant que je ne termine ce que j’avais à faire. Je relevais à nouveau le regard vers lui, l’écoutant avec un peu plus d’attention, un air grave sur le visage. Puis, une fois que cela sera fait, je quitte Poudlard, ma famille et toutes mes attaches hormis Daphné pour fuir et vivre loin d’ici, là où le Lord Noir ne pourra pas nous trouver jusqu’à ce que la guerre ne prenne fin. Là, je pourrais alors devenir un autre, du moins plutôt révéler celui que j’étais réellement et un jour me décider à affronter mon propre père pour lui montrer quel homme j’étais en réalité, qu’il l’accepte ou pas. Là non plus je ne répondis rien, refusant tout autant d’admettre qu’il pouvait avoir raison que de pouvoir au fond m’empêcher de me demander si je ne pouvais pas également réfléchir à cette option-là. Mais non, me dresser contre mon père était quelque chose que je ne saurai faire. Je ne le désirais pas, et quand bien même ce fut le cas je n’en avais pas la force.
Blaise ajouta enfin que si jamais j’avais un jour décidé de faire ce choix, il possédait une grande propriété dans les Blues Mountains.

Je ne pus m’empêcher de lâcher un rire plus nerveux que sincère, hochant la tête en lui répondant enfin :

« Je ne vois pas aussi loin, vois-tu. Que j’arrive déjà à sauver ma peau, ce qui entre nous est très mal parti, et j’aviserai par la suite. Et d’ici là cela m’étonnerait que Daphné soit encore avec moi. »

Un nouveau soupir s’échappa de mes lèvres, alors que mon regard ne se perde un instant. Je balayais à nouveau la salle du regard, pour lui dire finalement :

« En tout cas une chose est certaine, je ne pourrai pas rester avec elle. Elle le sait déjà de toute manière, je ne le lui ai pas caché, et ce depuis le début. Mais... je pense que ce moment va venir bien plus vite que prévu. Je ne peux pas me permettre de la mettre en danger, je le sais bien. Et les choses vont malheureusement bien plus vite que je ne l’aurai cru. »

Non, je n’avais pas le choix. Il fallait que je prenne cette décision, et le plus vite possible sera le mieux...
Je retins un nouveau soupir et croisai une nouvelle fois son regard noir comme l’ébène, lui disant dans un léger sourire en coin :

« Merci, Blaise. En fait, je... je suis content qu’on se soit mis à au clair. J’aurai préféré que cela se passe d’une autre manière, mais au moins c’est chose faite. »

Je posais une nouvelle fois mon regard sur ma Marque à jamais gravée sur ma peau dénudée, et lui dit finalement :

« Bon, je ne vais pas rester comme ça jusqu’à ce que les Cracmols puissent se servir d’une baguette. » Lui dis-je, prenant ma chemise blanche que je boutonnais, prenant bien garde à ce qu’elle recouvre parfaitement ma Marque.

J’enfilai enfin ma veste et rangeai mes affaires, puis me retournai vers lui en lui disant :

« Allons-y. Il est temps que l’on rentre avant que les autres ne se posent des questions. »

S’il savait combien je lui étais redevable. Mais une fois encore je ne parvenais pas à le lui dire. Chaque chose en son temps, les choses avaient de toute manière étaient bien assez agitées pour aujourd’hui.